$130/baril : nouveau seuil annoncé pour que le biodiesel asiatique soit compétitif
Hebdomadaire PETROSTRATEGIES du 26 novembre 2007
L’avenir des énergies « vertes » et, en particulier, des agrocarburants, n’est pas tout assuré. L’engouement pour ces nouvelles sources d’énergie fait suite à une hypothèse toute simple : considérations environnementales mises à part, l’escalade du prix du pétrole rend les sources d’énergie alternatives économiquement plus rentables et devrait inciter au développement accru des agrocarburants, du solaire photovoltaïque et du nucléaire. Voilà pour l’argument généralement admis. Or, l’équation ne semble pas être aussi simple. Le recentrage des sources d’énergie qui a commencé – et devra inexorablement se poursuivre pour faire face aux contraintes environnementales fortes et à l’épuisement des ressources en hydrocarbures (même si celui-ci n’est pas pour demain) – a créé une nouvelle donne sur les marchés. Les tensions dans la sphère pétrolière ont « contaminé » les autres secteurs.
Ainsi, ces quatre dernières années, le prix du charbon a plus que doublé et le prix de l’uranium a été multiplié par sept. Le négoce du silicium, sur lequel repose la production de cellules photovoltaïques, subit aussi des tensions. C’est pour les agrocarburants que la situation semble la plus inquiétante, en particulier en Asie. Il n’y pas si longtemps, les experts estimaient à $50/baril le seuil à partir duquel ces carburants alternatifs deviennent économiquement rentables. Mais selon le Global Bioenergy Partnership (GBP), un groupement mis en place en 2005 par le G8 et 5 pays producteurs (l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde et le Mexique), les agrocarburants ne seraient compétitifs que pour un prix du baril dépassant les $80. Or, voilà que maintenant même un prix du brut approchant $100/baril n’apparaît pas comme suffisant aux yeux de certains producteurs d’agrocarburants asiatiques.
Selon l’ex-président de l’Association des producteurs d’huile de palme en Malaisie, M.R. Chandran, le prix du baril devrait aujourd’hui dépasser $130 pour que le biodiesel à base d’huile de palme soit compétitif ! La raison à cela : la flambée du prix des denrées alimentaires. L’ascension du prix du brut a indirectement provoqué celle des prix des produits utilisés dans l’industrie des agrocarburants. Actuellement, le biodiesel malais se vend à environ $940 la tonne, soit environ $40/t de plus que l’huile de palme brute. La différence est minime. Selon les industriels du biodiesel, un écart de $100/t serait nécessaire pour rentabiliser la production.
L’escalade entraîne l’escalade et la nouvelle donne pourrait bien ralentir l’essor prévu des agrocarburants. Fait-on face à une période de transition à l’issue de laquelle les prix vont se stabiliser ? « Le jeu vient à peine de commencer, a estimé l’Economiste en chef de Moody’s, Mark Zandi. Cela ne fait que 4 ans que les prix ont augmenté, et je pense que nous sommes tous trop impatients. » Il a ajouté : « Cela va prendre du temps pour que les réponses arrivent du côté de l’offre et des innovations technologiques ». On peut se demander combien d’années seront nécessaires pour stabiliser les prix. La réponse viendra principalement de la mise au point des agrocarburants de deuxième génération (PETROSTRATEGIES du 19 novembre 2007) et du développement de cultures non vivrières pouvant servir de matières premières aux agrocarburants, comme le jatropha (PETROSTRATEGIES du 9 juillet 2007).
Selon le Global Bioenergy Partnership, l’ouverture des marchés sera également nécessaire pour favoriser le déploiement des produits les plus compétitifs et l’utilisation des agrocarburants dans des régions au potentiel de production limité. En attendant, beaucoup de projets asiatiques semblent être gelés. La flambée des prix de l’huile de palme, la mauvaise image environnementale des agrocarburants malaisiens – la déforestation prenant une ampleur inconsidérée – et le manque de support des gouvernements leur sont aujourd’hui presque fatals. L’Australien Natural Fuel va certainement freiner le développement de son usine de Singapour prévue pour produire 600 000 t/an de biodiesel. La première unité d’une capacité de 200 000 t/an sera mise en service comme prévu en décembre 2007. « Mais si les [prix des] matières premières continuent comme ça, nous aurons à remettre sérieusement en question la mise en service des trois trains », a déclaré le président de Natural Fuel, Larry Tan. Par ailleurs, la compagnie australienne a fermé pour des raisons économiques son usine de Darwin, dans le nord du pays, un an après son ouverture. Ces installations, d’une capacité de 120 000 t/an, étaient destinées à alimenter les marchés américain et asiatique. Par ailleurs, Vance Bioenergy et Golden Hope, propriétaires d’installations en Malaisie, ont fortement ralenti leur production.
Pourtant, l’offre d’agrocarburants dans le monde est aujourd’hui insuffisante pour répondre à la demande. Selon un analyste de Nexant (Singapour), les réserves actuelles de biodiesel ne pourraient satisfaire que 8 % de la demande globale, qui est de 14 Mb/j. « Le biodiesel ne pourra répondre de façon réaliste qu’à 1 % de la demande mondiale de diesel en 2010 », a précisé Nexant.