Vers une restructuration de la filière nucléaire française ?

Hebdomadaire PETROSTRATEGIES du 14 décembre 2009

La France est fière de sa filière nucléaire portée par deux acteurs de poids que sont EDF et Areva. Mais le nucléaire français se porte-t-il aussi bien que cela ? Le nouveau CEO d’EDF, Henri Proglio, a jeté un coup de pied dans la fourmilière à son arrivée à la tête du groupe le 25 novembre dernier. Selon lui, toute l’industrie de l’atome doit être repensée. La création en 2001 d’Areva, acteur intégré sur toute la chaîne nucléaire, serait une erreur et l’offre (d’un montant évalué à $40 milliards) du consortium Areva/EDF/GDF Suez pour construire des réacteurs à Abou Dhabi serait mal organisée. Est-ce alors un hasard si le président français, Nicolas Sarkozy, vient de requérir une étude sur l’organisation de la filière nucléaire civile, sur le rôle de l’Etat dans celle-ci et sur la stratégie en matière d’alliances et de partenariats à l’horizon 2030 ? Il a confié cette tâche à François Roussely, ancien CEO d’EDF (de 1998 à 2004) et réputé proche d’Henri Proglio.

Le nucléaire français cumule les problèmes. Tout d’abord, la technologie EPR, fer de lance de la filière française, multiplie les griefs. Les retards se sont accumulés sur le site finlandais (Olkiluoto), les coûts ont explosé. Le 2 novembre dernier, les autorités de sûreté britannique, française et finlandaise ont « soulevé des questions techniques concernant le système de contrôle commande » et « ont demandé aux exploitants et au fabricant d’améliorer la conception initiale de l’EPR. » L’excellence de la technologie EPR portée par la France se trouve donc mise à mal. Le 26 novembre, le Premier ministre français, François Fillon, déclarait lors d’une visite sur le site de l’EPR à Flamanville : « La réussite de l’EPR, ce sera une part déterminante de la réussite d’Henri Proglio à la tête d’EDF. » Après Flamanville, un second réacteur EPR serait mis en chantier en 2012, à Penly, en Seine-Maritime. Il entrerait en service en 2017.

Autre problème auquel se heurte le nucléaire français : la disponibilité des centrales. « Le coefficient de disponibilité des centrales diminue depuis trois ans. Aujourd’hui, il est en-deça de 80 %. Ce n’est pas assez. Il faudrait repasser rapidement la barre des 80 %, et se fixer comme objectif les 85 % en 2012 », a dit François Fillon. Début novembre, près d’un réacteur sur trois ne produisait pas d’électricité. Au mois d’octobre, la France a importé 458 GWh, ce qui constitue une « situation inédite depuis l’hiver 1982-83 », a souligné le Réseau français de transport d’électricité (RTE). Pourquoi ? Tout d’abord, des grèves particulièrement suivies au printemps dernier auraient perturbé le calendrier de maintenance. Ensuite, les réacteurs nucléaires produisent de l’électricité en masse, mais fonctionnent avec une certaine inertie. Ils sont ainsi performants pour produire de l’électricité en base. Mais avec son choix du presque tout nucléaire (78 % de son électricité produite), la France utilise aussi l’atome pour produire de la semi-base, ce qui ne permet pas une utilisation optimale des installations. RTE souligne que « la disponibilité prévisionnelle du parc de production français pour cet hiver est en très net retrait par rapport à l’hiver dernier sur les mois de novembre à janvier ». Ainsi, des importations s’avèreraient nécessaires, de l’ordre de 4000 MW sur cette période, voire de 9000 MW en cas « de froid intense et durable ».

Dans la demande diligentée par Nicolas Sarkozy, François Roussely aura pour mission de « mener une étude approfondie » sur la filière du nucléaire civil et « les orientations à en tirer » pour « l’évolution du nucléaire civil à l’horizon 2030 ». Il devra se pencher notamment sur la sécurité des approvisionnements en uranium, la compétitivité du nucléaire, les questions environnementales et de sûreté, l’acceptation par le public, les conséquences des politiques française et internationale de non-prolifération nucléaire, l’organisation industrielle et la place de l’Etat.

Le secteur public français, actionnaire à 84 % dans EDF et à 87 % dans Areva, domine la filière nucléaire. La structure d’Areva, critiquée par Proglio, n’est apparemment pas remise en cause aujourd’hui par l’Etat. « Le modèle intégré sur lequel le groupe a été bâti en fait un acteur unique du secteur nucléaire mondial. Le gouvernement souhaite renforcer encore cette spécialisation d’Areva », a déclaré le Premier ministre français. Toutefois, des pourparlers seraient en cours quant à l’ouverture du capital d’Areva à des investisseurs étrangers, notamment en Asie et au Moyen-Orient. Selon François Fillon, la force de la filière nucléaire française repose sur la pluralité des acteurs et l’adaptation de « la géométrie de l’équipe de France » aux demandes de l’étranger en proposant des offres combinées, ou pas. Et Paris souhaite garder la main : « C’est à l’Etat, qui est à la tête de la filière, qu’il incombe d’assurer la cohérence d’ensemble de cette stratégie. »

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Cet article a été posté le Monday, 14 December 2009 à 16:14 et est classé dans énergie. Vous pouvez suivre les réponses à cet article via le flux RSS 2.0. Vous pouvez aller à la fin et laisser un commentaire. Les rétroliens ne sont pas permis pour le moment.

 

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