Pétrole : une nouvelle gouvernance est nécessaire pour concilier exploration et préservation des grands fonds
Hebdomadaire PETROSTRATEGIES du 24 octobre 2011
A l’heure où les frontières de l’exploitation des fonds marins sont repoussées à l’extrême, scientifiques, industriels, politiques et ONG se sont retrouvés à Paris le 13 octobre sous l’égide de l’Institut océanographique de Paris et de l’Ifremer(1)
La pêche, l’exploitation minière et pétrolière draguent des profondeurs inédites. Le plancher actuel de profondeur d’eau pour l’exploration pétrolière se situe à 3000 m sous la surface, notamment dans les nouveaux champs pétroliers découverts au large du Brésil. La profondeur totale de forage possible atteint environ 7000 m. L’exploration minière est également en plein essor, avec l’explosion du coût des métaux. Des permis gigantesques ont été attribués dans le Pacifique, sur une zone de 4000 km le long des failles de Clarion et de Clipperton, pour exploiter des nodules métalliques. L’industrie minière exploite également des sources hydrothermales très profondes pour le soufre, cuivre, le zinc ou le fer. La Russie et la Chine développent à vitesse V ce type d’exploration dans les eaux maritimes internationales.
La technique devance la gouvernance
En parallèle, la biologie sous-marine a effectué un bond ces dernières années avec la découverte d’écosystèmes inattendus dans les océans. Grâce aux progrès de la robotique, les scientifiques sont allés sonder des profondeurs allant jusqu’à 10 000 m et ont, à leur grande surprise, trouvé une vie foisonnante malgré le froid, le manque d’oxygène et une nuit noire. On ne connaîtrait actuellement que 15 à 20 % de la flore et de la faune sous-marines ! D’où leurs inquiétudes face au développement de l’industrie offshore ultra-profond, qui viendrait perturber des écosystèmes jusque-là préservés. Thierry Pilenko, CEO de Technip, a affirmé que la technologie de l’E&P offshore avance beaucoup plus vite que la gouvernance pour préserver la vie sous-marine.
La marée noire dans le golfe du Mexique hante les esprits
La peur des menaces sur la biodiversité aquatique s’est accentuée suite à l’explosion de la plate-forme du Deepwater Horizon, dans le golfe du Mexique. « (L’accident de) Macondo a montré que nous n’étions pas prêts », a souligné le CEO de Technip. Le Français a, depuis, mis au point un système de confinement de puits, avec ses partenaires ExxonMobil, Chevron, Shell et ConocoPhillips. Selon lui, ce système, conçu pour le golfe du Mexique, pourra répondre en urgence à une fuite de pétrole plus importante que la marée noire de Macondo.
Des outils internationaux peu efficaces
Il existe déjà plusieurs outils juridiques internationaux pour préserver les Océans, comme la Convention du droit de la mer ou le tribunal international maritime de Hambourg (qui n’a traité qu’une douzaine de cas). En outre, la conférence de Nagoya en 2010 a abouti à un protocole sur l’accès aux ressources, signé par 193 pays, et à un plan visant à protéger 10 % des surfaces maritimes et côtières (contre 1 % aujourd’hui). En Europe, la convention Ospar protège le milieu marin de l’Atlantique du Nord-est depuis 1992. Mais les mesures aujourd’hui en vigueur sont trop peu contraignantes ou mal appliquées, estiment bon nombre d’acteurs. Ainsi, Lucien Chabason, de l’Institut français du développement durable et des relations internationales (Iddri), Jean-Christophe Victor, directeur du laboratoire d’études politiques et d’analyses cartographiques (Lepac), Jacques Weber, directeur de l’Institut français de la biodiversité et Kristina Gjerde, de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), ont appelé à l’établissement d’un régime de responsabilité international et de compensations.
Les écosystèmes, des sujets de droits ?
Jacques Weber fait partie des économistes qui militent pour que les écosystèmes soient des sujets de droits. Il souhaite l’intégration des coûts de maintenance et de restauration des écosystèmes dans les programmes de développement des pétroliers et des miniers. Si les études d’impact montraient que la restauration s’avère impossible, l’exploitation serait interdite. De son côté, Lucien Chabason a fait un parallèle avec le nucléaire. Selon lui, il faudrait créer un organe sur le modèle de l’AIEA afin de gérer au niveau international la sûreté des fonds marins.
La Russie et l’Indonésie seraient fers de lance pour faire avancer le droit international dans la direction d’une meilleure protection des écosystèmes sous-marins. A la demande de Moscou, un groupe de travail a été créé au G20. L’Onu détient également son propre groupe de travail, mais ce dernier avance à petits pas.
(1) Institut Français Recherche Exploitation de La Mer