Mini-réacteur sous-marin : la France veut étoffer son offre nucléaire pour les PVDs avec une option insolite

Hebdomadaire PETROSTRATEGIES du 31 janvier 2011

Suite aux retards et aux coûts galopants de construction des réacteurs nucléaires français de dernière génération (EPR), la filière cherche de nouvelles offres pour accéder à des petits marchés. Peut-on imaginer des réacteurs nucléaires de faible puissance, par exemple 100 MW, peu coûteux, modulaires, facilement transportables ? Selon certains, une petite centrale nucléaire terrestre nécessite des travaux de terrassement conséquents et ne peut pas être rentable. Pourquoi alors ne pas investir les mers ?

Les Américains ont été les premiers à développer cette idée il y a une trentaine d’années avec l’unité nucléaire flottante MH-1A, qui a fonctionné pendant 7 ans sur un navire stationné dans la région du canal de Panama. Actuellement, le concept refait surface. Les Russes ont présenté en 2010 l’Akademik Lomonosov, une centrale nucléaire de 70 MW installée sur une barge, qui prendra la mer pour alimenter pendant 38 ans une région reculée du Kamchatka. Les Français proposent aujourd’hui une nouvelle perspective : produire de l’électricité nucléaire non pas sur, mais sous l’eau. Intuition géniale ou fantaisie ?

DCNS, le leader de l’industrie navale en France, a ainsi dévoilé le 20 janvier dernier un projet de réacteur nucléaire sous-marin. Les deux grands acteurs de la filière nucléaire française, à savoir Areva et EDF, s’y sont associés. Le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) fait également partie de l’aventure. Leur objectif est de construire un réacteur de petite puissance, entre 50 et 250 MW, pouvant alimenter en électricité de petits pays pourvus de façades maritimes. Selon le directeur de la division Nucléaire civil chez DCNS, André Kolmayer, le concept dénommé Flexblue n’exige pas d’investissements lourds et s’adresse particulièrement aux pays émergents. Il pourrait diversifier l’offre nucléaire française dans le monde.

Le portefeuille de centrales nucléaires proposées par Areva comprend trois technologies à fortes puissances : l’EPR (environ 1600 MW), Atmea (1100 MW) et le réacteur à eau bouillante Kerena (1250 MW). Ces réacteurs intéressent aujourd’hui l’Europe, les Etats-Unis et l’Inde. L’accès au nucléaire civil de nouveaux pays, comme l’Egypte, les EAU, la Jordanie, la Thaïlande et le Vietnam intéresse évidemment le groupe français. Mais Areva saura-t-il séduire ces pays avec ses technologies mastodontes, très coûteuses ? La compagnie a lancé un programme d’études de petits réacteurs de 100 MW qui complèteraient sa gamme. Le réacteur sous-marin Flexblue, qui serait mis en service dès 2017, pourrait être une nouvelle corde à l’arc de la compagnie.

DCNS, qui s’appuie sur son expérience dans la conception de sous-marins à propulsion nucléaire, développe le réacteur Flexblue depuis deux ans. Cette technologie de production d’électricité nucléaire sous-marine consiste en une unité cylindrique de 12 000 tonnes, de 100 mètres de longueur, 12 à 15 mètres de diamètre, qui est ancrée par 60 à 100 mètres de fond et à quelques kilomètres des côtes. L’électricité est acheminée vers la Terre par des câbles sous-marins. « EDF et Areva ont marqué leur intérêt pour le caractère modulaire et standardisé du concept Flexblue », explique DCNS. En effet, Flexblue ne nécessite pas de travaux de génie civil (béton armé, terrassement, etc.). En outre, il peut être produit en série dans les chantiers navals de Cherbourg, en France, avant d’être acheminé par bateau vers son point d’ancrage. Le coût d’un tel réacteur serait de quelques centaines de millions d’euros seulement. Il serait construit plutôt rapidement, en deux ans.

L’annonce de la volonté française de construire un réacteur nucléaire sous-marin a suscité un tollé chez les environnementalistes. Le réseau « Sortir du nucléaire » estime qu’il s’agit d’un délire supplémentaire de l’industrie nucléaire et demande comment s’organiseront le contrôle et la maintenance d’une telle installation et (question récurrente) que deviendront les déchets. Il redoute par ailleurs une dissémination de la radioactivité dans l’eau. Avant de se lancer, DCNS était d’ailleurs hésitant : « Avant de présenter ce concept, nous avons vérifié avec les experts de l’Autorité de sûreté nucléaire que l’on n’était pas en train d’imaginer quelque chose d’aberrant », a avoué son CEO, Patrick Boissier, devant des journalistes français.

Depuis, les industriels semblent beaucoup plus sûrs d’eux et balayent les griefs des ONG d’un revers de main. Selon le directeur de la division nucléaire civil chez DCNS, André Kolmayer, il n’y a aucun risque radioactif, car « l’eau est une barrière naturelle ». Des études sont tout de même prévues pour analyser l’impact des dégagements de chaleur sur la faune et la flore sous-marines. En outre, il explique que la centrale sous-marine sera très peu sensible aux agressions extérieures, comme la pluie, la glace, la neige, le vent, les chutes d’avions ou les tremblements de terre. Même un tsunami n’aurait pas de conséquences à cette profondeur, ajoute-t-il. Selon lui, « le site est naturellement protégé et nous n’aurons pas besoin de construire une coque en béton autour ». Par ailleurs, il n’y aura pas de personnel à bord, le site sera téléopéré depuis une centrale terrestre. Tous les deux à quatre ans, l’unité Flexblue devra être remontée à la surface et conduite dans un chantier naval pour le changement de son combustible. La gestion des déchets radioactifs sera la même que celle des centrales classiques. Le réacteur Flexblue ne présente-t-il alors aucun risque ? Les industriels ont pensé au risque terroriste, par un plongeur, une mine ou une torpille. DCNS a ainsi prévu une protection par un maillage en acier, qui ferait exploser les mines et les torpilles à distance.

Avant de se lancer dans la commercialisation du réacteur Flexblue, DCNS, Areva, EDF et le CEA vont engager une phase de développement de deux ans qui se concentrera sur les aspects suivants : les options techniques et industrielles, le marché potentiel, les conditions de compétitivité économique, la problématique de la lutte contre la prolifération nucléaire et « la spécificité, eu égard à la sûreté et à la sécurité, d’installations immergées en démontrant un niveau de sûreté homogène avec celui de réacteurs de troisième génération ».

Cet article a été posté le Monday, 31 January 2011 à 20:03 et est classé dans nouvelles technologies, énergie. Vous pouvez suivre les réponses à cet article via le flux RSS 2.0. Vous pouvez aller à la fin et laisser un commentaire. Les rétroliens ne sont pas permis pour le moment.

 

Laisser une Réponse

Vous devez être connectés pour poster un commentaire.