L’EAU et ses propriétes physico-chimiques

Editions ATLAS, 2005
Rubrique Mathématiques, Physique & Chimie

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“Eau, tu n’as ni goût, ni couleur, ni arôme, on ne peut pas te définir, on te goûte, sans te connaître. Tu n’es pas nécessaire à la vie: tu es la vie.” St Exupéry, Terre des Hommes, 1939.

Naissance de l’eau sur la terre
L’eau, source de la vie végétale et animale, est très répandue dans la nature. Elle recouvre les 2/3 de la terre et constitue plus de 60% en poids du corps humain. A quand remonte l’apparition de l’eau sur notre planète? On ne le sait pas exactement. Les astronomes et les géologues émettent deux hypothèses différentes mais non contradictoires, et qui peuvent donc être complémentaires. Lorsque la terre primitive s’est formée, il y a de ça 4,5 milliards d’années, des bombardements de comètes et de météorites auraient alimenté l’atmosphère terrestre en vapeur d’eau. Ou bien encore, un peu plus tard, l’atmosphère se serait enrichie en vapeur suite à de violents dégazages volcaniques. Quoiqu’il en soit, bien avant l’apparition de l’eau liquide, la terre a baigné dans un environnement riche en vapeur d’eau. Elle s’est ensuite progressivement refroidie et la condensation a provoqué des pluies torrentielles qui ont formé les océans.

Si présente et si familière….et pourtant si complexe!
Nos ancêtres grecs Empédocle et Platon considéraient l’eau comme faisant partie des quatre éléments fondamentaux, à l’instar de la terre, l’air et le feu. Cette vision s’est développée progressivement au cours des siècles mais la composition de l’eau est restée jusqu’il y a peu un vrai mystère. Ce n’est qu’ au cours du XVIIIème siècle, et en particulier grâce aux travaux du français Lavoisier (1743-1794), que des progrès scientifiques importants ont donné naissance à la chimie moderne, première approche réaliste de la nature des éléments composant la matière. C’est à cette époque, et plus précisément en 1784, qu’un physicien anglais du nom de Cavendish (1731-1810) observe la formation de buée lors d’une expérience faisant intervenir une réaction de combustion d’hydrogène. Il fait alors le premier pas vers la connaissance intime de cette substance en remettant en cause son caractère élémentaire: il affirme que l’eau n’est pas un corps pur mais un composé formé d’hydrogène et d’oxygène. Depuis, l’eau ne cesse d’être le terrain d’investigation de nombreux travaux scientifiques. Certaines de ses propriétés physico-chimiques sont en effet étonnantes comparées à celles d’autres corps de composition voisine. Pourquoi? Prenons le temps de détailler ses caractéristiques et nous verrons que…tout ne coule pas de source!

L’eau dans tous ses états
L’eau est l’un des rares composés qui existent naturellement dans les trois états de la matière. On la trouve en effet abondamment sous forme liquide, solide (glace, neige) et gazeuse (vapeur). Deux conditions déterminent l’état de l’eau dans laquelle elle se trouve: la pression et la température. Le diagramme des phases de l’eau permet de visualiser les conditions d’apparition des différents états selon la valeur de ces deux paramètres. Les températures pour lesquelles l’eau bout et gèle à la pression atmosphérique sont à l’origine de la définition de l’échelle de température Celsius, du nom du physicien suédois qui inventa le premier thermomètre à mercure au XVIIIème siècle. Ces deux valeurs que nous connaissons bien, 100°C et 0°C, sont en effet de jolis nombres ronds! Penchons-nous quelques instants sur ce diagramme qui nous montre certaines propriétés de l’eau. Pour des pressions plus faibles que la pression atmosphérique, comme en haute montagne par exemple, la température d’ébullition est inférieure à 100°C. Il est donc plus facile de faire bouillir de l’eau dans une casserole en haut du Mont Blanc que dans une plaine du bassin aquitain! Par contre, la température de fusion (passage de l’état solide à l’état liquide) chute lorsque la pression augmente. Ainsi, il est possible de faire fondre de la glace simplement en la comprimant, ce qui permet par exemple aux patineurs de glisser sur une mince pellicule d’eau formée sous l’effet de la pression du patin.

Structure moléculaire
La molécule d’eau, notée H2O, est formée de deux atomes d’hydrogène reliés à un atome d’oxygène. Les deux liaisons oxygène-hydrogène se forment suite à la mise en commun d’électrons de valence de la périphérie des deux atomes, et sont appelées liaisons covalentes. Elles font un angle de 104° entre elles, caractéristique de la géométrie tétraédrique, et mesurent environ un dizième d’un millionième de millimètre. Par ailleurs, l’atome d’oxygène est entouré d’un “nuage” d’électrons qui crée un déséquilibre dans la répartition des charges. On dit que la molécule est polaire.

Dans quelles conditions l’eau change-t-elle d’état? Suivant l’état de la matière (liquide, solide ou gaz), les molécules s’agencent entre elles différemment, ce qui est à l’origine de chacune des “consistances” des 3 états.
Le paramètre déterminant le passage d’un état à un autre est l’”agitation thermique”. En effet, la vibration et la mobilité des molécules au sein de toute matière sont corrélées à la température et au type de liaisons inter et intra-moléculaires. Lorsque la température augmente dans un solide, les liaisons s’assouplissent ou se cassent, la matière se déstructure et donne naissance à un liquide ou à un gaz.
Suivons le parcours de l’eau de sa phase vapeur à sa phase solide.
Dans la vapeur d’eau, l’agitation thermique est grande, les molécules ne sont pas reliées entre elles et se déplacent de façon à occuper tout le volume qui est leur est disponible. L’espace inoccupé entre les molécules est tel qu’il est possible de comprimer cette vapeur: c’est un gaz compressible, comme d’ailleurs la plupart des autres gaz. Si l’on refroidit la vapeur d’eau, l’agitation thermique diminue. Les molécules se rassemblent, la vapeur se transforme en gouttelettes, les gouttelettes s’agglutinent pour donner naissance à de l’eau liquide. Dans l’eau liquide, les molécules d’eau se lient entre elles par une liaison très particulière, la liaison hydrogène. Ses propriétés étonnantes sont à l’origine de la fluidité de l’eau. Si l’on poursuit la baisse de température, les liaisons hydrogène se multiplient encore et se rigidifient pour donner naissance à une structure hexagonale organisée: la glace.
Jusqu’où peut-on poursuivre la baisse de la température? Nous avons vu que la température est directement reliée à l’agitation thermique. En toute logique, la température la plus basse possible devrait être celle pour laquelle toutes les molécules et les atomes les composant sont totalement figés. C’est en effet le cas. Cette température, appelée le “zéro absolu”, avoisine les –273°C.

La polarité de l’eau et son aptitude à dissoudre les sels
L’eau est un solvant puissant. L’eau de mer contient à nos latitudes environ 35 grammes de sel par litre, mais il est possible de dissoudre plus de 300 grammes de sel dans un litre d’eau à température ambiante. Revenons à la structure de la molécule d’eau pour expliquer ce phénomène, et plus précisément à son caractère polaire. L’atome d’oxygène, entouré de son “nuage” d’électrons, est chargé négativement par rapport aux atomes d’hydrogène qui eux sont chargés positivement. Or, toute charge électrique est attirée par son opposé. Lorsque que l’on verse du sel dans de l’eau, les ions chlorure (Cl-) et sodium (Na+), pourtant fortement liés entre eux, se séparent et sont attirés respectivement vers l’hydrogène et l’oxygène. Les molécules d’eau forment alors un “écran” entre les différents constituants du sel qui les empêche de se recombiner. Bien évidemment, si la concentration en sels est trop importante, les molécules d’eau ne sont plus assez nombreuses pour assurer leur rôle d’écran. La solution est alors “saturée”.
Ce phénomène de dissolution n’est pas seulement valable pour les sels, mais aussi pour bon nombre d’éléments variés. Dans la nature, l’eau est ainsi le véhicule bienfaisant qui assure les échanges internes dans le corps humain et dans les plantes, mais devient aussi un vecteur de pollution en drainant certaines substances toxiques qui se trouvent sur son chemin (engrais, pesticides, ..).

La liaison hydrogène à l’origine des propriétés atypiques de l’eau

Description de la liaison hydrogène
Grâce au caractère polaire de l’eau, un atome d’oxygène est attiré et se lie à un atome d’hydrogène d’une molécule d’eau voisine. La liaison hydrogène est directionnelle car elle s’aligne dans l’axe de la liaison covalente qui lui est associée. L’énergie de formation et le comportement de cette liaison restent une énigme. En effet, cette dernière est à la fois beaucoup moins énergétique, c’est-à-dire moins “solide”, que les liaisons internes à la molécule d’eau et plus énergétique que les liaisons inter-moléculaires d’autres composés à priori analogues. Dans l’eau liquide, cette liaison se tord aisément, se défait ou se refait très rapidement (environ mille milliards de fois pas seconde), ce qui explique la grande fluidité de l’eau.
Mais la liaison hydrogène existe aussi dans d’autres composés, en particulier dans les molécules biologiques comme les protéines où deux brins d’ADN sont liés entre eux par des liaisons hydrogène. Ce qui rend la molécule d’eau unique en son genre, c’est de pouvoir établir autour d’elle un grand nombre de ces liaisons (jusqu’à quatre par molécule).

Une température de fusion et d’ébullition anormalement élevées
L’eau bout à 100°C et gèle à 0°C à la pression atmosphérique. Ces propriétés que nous connaissons bien sont tout à fait anormales! En effet, prenons par exemple le méthane (CH4) qui brûle dans nos cuisinières: sa masse moléculaire est voisine de celle de l’eau et pourtant ce composé est gazeux à très basse température. Pourquoi une telle différence avec la molécule d’eau? Dans le méthane liquide, les molécules sont très peu liées entre elles et il suffit d’une agitation thermique minime pour que les molécules se détachent et forment de la vapeur. Et dans l’eau….il y a la liaison hydrogène qui nous est maintenant familière, suffisamment solide pour “empêcher” les molécules de se séparer. Sans elle, la température d’ébullition de l’eau serait voisine de –80°C et il ne devrait y avoir ni d’eau liquide ni de glace sur notre planète!

Pourquoi sale-t-on les routes en hiver?
Le salage permet d’abaisser la température de fusion de l’eau, donc de retarder la formation de glace sur les chaussées et les trottoirs. La saumure (solution saturée de sel) gèle en effet à –21°C. Au sein de cette solution, les ions chlorure et sodium sont entourés de molécules d’eau et s’opposent à la formation de certaines des liaisons d’hydrogène habituellement présentes dans l’eau pure. Ainsi, la cristallisation des molécules d’eau est moins aisée et requiert des températures inférieures.

Une grande capacité calorifique
La quantité de chaleur nécessaire pour réchauffer l’eau est particulièrement importante. Cette propriété est à la base de la définition de la calorie: une calorie est la quantité d’énergie nécessaire pour élever la température d’un gramme d’eau de 1°C. Et ceci correspond à une énergie considérable: 4 fois plus que pour un gramme d’air, et 10 fois plus que pour un gramme de fer! Pourquoi autant d’énergie? Pour accroître la température d’un corps, il faut faire vibrer les molécules et casser les liaisons. Or la liaison hydrogène est plus solide que les autres liaisons intermoléculaires classiques, et est donc plus difficile à casser. L’eau a par conséquent une grande capacité calorifique, appelée aussi inertie thermique: elle peut emmagasiner, transporter et restituer une quantité de chaleur importante. Ces propriétés sont utilisées pour faire fonctionner nos radiateurs, mais aussi des installations industrielles complexes comme les centrales nucléaires où l’eau transporte l’énergie du cœur du réacteur aux turbines, permettant ainsi la conversion de l’énergie nucléaire en électricité. A l’ère de la recherche de nouvelles sources d’énergie, une autre application concerne la géothermie, méthode permettant l’extraction de l’eau contenue dans la croûte terrestre pour chauffer les habitations ou produire de l’électricité. Par ailleurs, l’inertie thermique de l’eau joue un rôle fondamental dans la régulation thermique de la terre. Les océans sont en effet de grands réservoirs qui stockent la chaleur le jour et la restituent la nuit, en modifiant peu leur température. De plus, les courants marins sont capables de transporter la chaleur sur de longues distances (des tropiques vers les hautes latitudes) et contribuent alors à réguler les températures atmosphériques à l’échelle de notre planète.

Une glace très légère et volumineuse
Dans la plupart des substances, l’état liquide est moins dense que l’état solide. En effet, lorsque la température (c’est-à-dire l’agitation thermique) augmente, les molécules sont de moins en moins liées, l’espace entre celles-ci s’accroît, la matière est alors moins compacte. Mais l’eau fait une fois de plus figure d’exception: la glace flotte sur l’eau liquide et occupe un volume plus important. L’explication se trouve encore du côté de la liaison hydrogène. Dans l’eau liquide, l’agitation thermique permet à cette liaison de se tordre et de favoriser le rapprochement et l’enchevêtrement des molécules d’eau. Le volume “moyen” occupé par chacune des molécules diminue. Ainsi, contre toute attente, lorsque la température augmente, l’eau se densifie! Et inversement, l’eau est moins compacte lorsque la température diminue: dans la glace, la liaison hydrogène est rigide, la structure cristalline est figée. Les molécules d’eau sont plus distantes les unes des autres et occupent donc un volume plus important. Ce comportement singulier est à l’origine de plusieurs phénomènes plus ou moins agréables de notre vie quotidienne, comme la rupture des canalisations en hiver, l’éclatement d’une bouteille oubliée au congélateur, ou bien les glaçons flottant dans notre menthe à l’eau! Par ailleurs, ceci explique les icebergs qui dérivent sur les océans, et ce pour le plus grand bonheur de l’humanité. En effet, si la glace était plus lourde que l’eau, elle tomberait au fond des océans et la surface gèlerait de nouveau. Lors des grandes périodes de glaciation, l’eau de notre planète aurait alors gelé, ralentissant ou peut-être même annihilant la vie sur terre…

Le phénomène de surfusion
Ce phénomène intervient à la pression atmosphérique et en-dessous de 0°C. Pour ces températures, nous savons que l’eau se transforme en glace. Il est possible cependant de conserver une eau hautement purifiée sous forme liquide jusqu’à …..– 40°C! Beaucoup de scientifiques s’y essayent afin de mieux comprendre les mécanismes de la liaison hydrogène de la phase liquide. Cette liaison est en effet plus stable aux faibles températures, donc plus facilement analysable. A ces températures, l’eau est un fluide visqueux qui ne demande qu’à cristalliser en glace autour du moindre germe. Il est donc nécessaire de débarrasser l’eau de toutes ses impuretés pour observer un tel comportement.

Questions / Réponses

Pourquoi la mer est-elle bleue?
Reflet du ciel? Illusion d’optique? L’eau d’une rivière ou de notre verre nous apparaît transparente. La couleur de la mer ne peut donc pas être due aux propriétés de l’eau me direz-vous. Et pourtant si! La lumière du soleil, qui comporte toutes les teintes de l’arc-en-ciel, agit sur les molécules d’eau en les faisant vibrer, mais seulement à une fréquence bien définie. Ainsi, l’eau absorbe uniquement la partie rouge du spectre de la lumière et réfléchit……la partie bleue, qui est alors captée par notre œil. Cependant, l’eau ne réfléchit que très peu de rayonnements bleus, c’est pour cela que dans de faibles quantités elle nous apparaît transparente. Par contre, l’intensité de la couleur bleue augmente avec l’épaisseur de la quantité d’eau.

Comment expliquer la diversité de la forme des flocons de neige?

La nature nous émerveille avec la beauté des flocons de neige et leur diversité. Aucun flocon ne ressemble en effet à un autre! Quelle est l’histoire d’un flocon? Il naît dans un nuage autour d’une poussière qui va servir de germe à sa croissance. Le petit cristal de glace est tout d’abord presque sphérique avec des contours irréguliers. Sous l’effet de l’attraction terrestre, il chemine vers le sol en rencontrant des couches atmosphériques de températures et d’humidité différentes. C’est la diversité des conditions qu’il rencontre qui est à l’origine de la variété des formes. Au cours de son périple, il attire les molécules d’eau environnantes qui se déposent préférentiellement sur ses aspérités. Pour qu’il y ait croissance sous forme de branches (dendrites), il faut que l’atmosphère soit saturée en vapeur d’eau. Les molécules n’ont alors pas le temps de diffuser sur le flocon et cristallisent là où elles se sont déposées en premier lieu, c’est-à-dire les aspérités, qui deviennent petit à petit des arêtes. De nouvelles aspérités apparaissent ensuite sur ces arêtes et continuent alors le processus de croissance…

Qu’est-ce que l’eau lourde?
Existe-t-il une eau plus lourde qu’une autre? Oui, mais en très faible quantité, les eaux naturelles ne contenant qu’environ 0,015% d’eau lourde. La différence entre l’eau “classique” et cette eau hors du commun se trouve au cœur de la molécule. La molécule d’eau lourde est en effet composée d’un atome d’oxygène et de deux faux-jumeaux de l’atome d’hydrogène, appelé deutérium. Ce deutérium, dont le noyau est doté d’un neutron supplémentaire, augmente la densité de l’eau d’environ 10%. L’eau lourde, trop rare à l’état naturel, est fabriquée industriellement car elle sert de modérateur au cœur de certains réacteurs nucléaires. Elle a la propriété de ralentir les neutrons sans trop les absorber, ce qui permet d’optimiser la réaction en chaîne.

Cet article a été posté le Sunday, 1 January 2006 à 15:41 et est classé dans science. Vous pouvez suivre les réponses à cet article via le flux RSS 2.0. Vous pouvez aller à la fin et laisser un commentaire. Les rétroliens ne sont pas permis pour le moment.

 

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