Le pouvoir de tuer des “Natural Killer”

Magazine Vivre, 4ème trimestre 2009

« Immodeste et déraisonnable », voilà comment Eric Vivier qualifie l’objectif de son laboratoire niché près des Calanques de Marseille. Cette ambition démesurée, alliée à une inventivité efficace, a déjà porté ses fruits. Les malades pourront bientôt en profiter.
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REPERES
La nature a tout prévu… ou presque. Des cellules tueuses arpentent notre organisme en continu pour détecter et éliminer les cellules cancéreuses. Mais ces Natural Killer ne repèrent pas toujours correctement leurs cibles. Les chercheurs se sont penchés sur les caractéristiques de ces cellules peu communes et sur les interactions avec leur micro-environnement. Après avoir compris leur fonctionnement, ils ont proposé des pistes de traitement pour renforcer leur efficacité. Un nouveau médicament pour lutter contre certains cancers du sang est actuellement en phase d’évaluation clinique.
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Le saviez-vous ? Notre organisme détruit de manière permanente un grand nombre de cellules pouvant initier un processus cancéreux. Le système immunitaire est en effet doté de sentinelles armées pour tuer les cellules défaillantes. Parfois peu nombreuses ou inefficaces, ces cellules bienfaitrices n’empêchent pas toujours la maladie de se développer. Parmi elles, les cellules NK (pour Natural Killer – tueuses naturelles) constituent un sujet de prédilection pour les chercheurs. Comprendre leur fonctionnement afin de renforcer leur activité est au centre du travail de l’équipe « Cellules NK et Immunité Innée » dirigée au Centre d’Immunologie de Marseille (CIML) par Eric Vivier et Sophie Ugolini.

Faites pour tuer
Le Pr Vivier, vétérinaire de formation, a participé à la découverte des propriétés anti-tumorales des cellules NK : « C’était au début des années 90. Je trouvais alors fascinant qu’il y ait des cellules qui puissent en tuer d’autres. » Après quelques années passées à la prestigieuse université d’Harvard, ce scientifique a décidé de rentrer en France et d’y créer son propre laboratoire au sein d’un des plus importants centre d’immunologie internationaux, le CIML, dont il est aujourd’hui le directeur. Son équipe compte aujourd’hui 17 personnes. « Nous concentrons tous nos travaux sur une question unique : comment les cellules NK font-elles pour interagir avec ce qui les entoure ? », raconte Eric Vivier. A l’aide de modèles de souris et d’analyses de tissus humains, les chercheurs marseillais dissèquent tous les processus moléculaires qui entrent en jeu lorsque les cellules NK détectent les cellules malignes et les tuent. Comment font-elles pour les reconnaître ? Les immunologistes ont déjà bien avancé. « La cellule NK palpe la cellule qu’elle a en face d’elle grâce à deux types de récepteurs. Elle la jauge et la met, soit dans la catégorie des cellules normales, soit dans celle des cellules anormales », explique le scientifique. La distinction peut être faite grâce aux différents récepteurs, tels des radars, que les cellules expriment à leur surface. Si ces molécules envoient seulement un signal inhibiteur, la cellule NK reconnaît la cellule comme normale et passe son chemin. Par contre, si la cellule NK reçoit des signaux activateurs importants, elle s’affole et libère des substances toxiques qui provoquent le suicide de la cellule indésirable.

Leur donner un coup de pouce
Mais la cellule tumorale n’est pas toujours reconnue par la cellule NK comme un adversaire à éliminer. Cette dernière la considère parfois comme normale et continue sa route sans l’inquiéter. « Nous avons compris pourquoi, intervient Eric Vivier. Si la cellule tumorale envoie des signaux activateurs, elle transmet également des signaux inhibiteurs qui annulent les premiers. » Deux possibilités pour donner un coup de pouce à la cellule NK, et lui permettre de mieux distinguer les cellules anormales : augmenter le signal activateur de la cellule à détruire ou éliminer son signal inhibiteur. Les chercheurs du CIML se sont tournés vers la deuxième proposition. Et bientôt, de nouveaux traitements seront disponibles pour améliorer la reconnaissance des cellules tumorales par les cellules NK (voir encadré : « Bientôt au lit du malade »).

Un comportement inné ?
La découverte du mécanisme de reconnaissance des cellules NK, dont les chercheurs du CIML détiennent la paternité avec d’autres laboratoires en Suède, en Italie et aux USA, a ouvert la voie à d’autres interrogations. Jusqu’en 2006, la communauté scientifique pensait que les cellules NK étaient douées de propriétés anti-tumorales innées. Or, on sait aujourd’hui que c’est faux : les cellules NK doivent être éduquées pour apprendre leur travail de tueuse. De nouvelles questions émergent : Qui les éduque ? Comment ? Sont-elles parfois incapables d’apprendre ? Pour le savoir, l’équipe marseillaise utilise des modèles de souris génétiquement modifiées. Jusqu’ici, plus de 1000 souris ont été mutées au hasard. L’activité des cellules NK a été analysée dans chacune d’elle. Des défaillances ont été détectées dans une dizaine d’entre elles. Les chercheurs sont ainsi en train de mettre le doigt sur les gènes qui participent au bon fonctionnement des cellules NK et qui entravent leur processus d’apprentissage.

Encadré
« Faire faire un pas à l’humanité »
Eric Vivier est un homme passionné et exigeant : « Cela paraît totalement déraisonnable et immodeste, mais notre ambition est de découvrir quelque chose que personne n’a découvert depuis les débuts de l’humanité. » Si ce scientifique ne pose aucune hiérarchie entre la recherche fondamentale et le développement de nouvelles thérapies, il marque bien la différence entre les deux territoires : « Pour donner une image, le développement consiste à concevoir une Jaguar à partir de l’invention de la roue. Mais pour nous, chercheurs, la Jaguar est juste un détail. L’important, c’est la roue ! ». Il ajoute : « Les véritables révolutions sont le fruit d’une recherche passionnée, curieuse et non finalisée. En effet, comment prédire le déroulement d’une étude qui n’a jamais été réalisée? Et si elle a déjà été réalisée, pourquoi emprunter ce chemin ? Ce que l’on nous demande, c’est d’ouvrir d’autres chemins, ceux qui partent vers l’inconnu afin de faire reculer les frontières de l’ignorance ».

Encadré
Bientôt au lit du malade
Si le laboratoire est avant tout comme un espace dédié à la recherche fondamentale, ses travaux ont un écho direct auprès des malades. En 1999, Eric Vivier a participé à la création d’une start-up de biotechnologies pour mettre au point des médicaments à partir des découvertes de l’équipe. Aujourd’hui, Innate-Pharma, qui emploie une centaine de personnes, effectue des essais cliniques d’un traitement anti-tumoral qui renforce l’action des cellules NK. Ces tueuses de tumeurs sont parfois un peu « myopes », et ont besoin d’aide pour reconnaître les cellules malignes des saines. Grâce à un anticorps bloquant leur inhibition face à une cellule cancéreuse, on améliore la vue des NK. Ce nouveau médicament est actuellement en phase d’évaluation clinique pour traiter les leucémies myéloïdes aiguës et les myélomes multiples. Une autre stratégie, qu’Eric Vivier veut encourager avec Didier Blaise, un médecin de l’Institut Paoli-Calmettes de Marseille, consiste à activer in vitro et à injecter les cellules NK chez les patients cancéreux pour augmenter leur impact.

Encadré
Du cancer… à H1N1
Le cancer n’a à priori rien à voir avec le virus de la grippe. Pourtant, les chercheurs marseillais aideront peut-être à mieux connaître la grippe A (H1N1) grâce à leur expertise sur les cellules NK qui, en plus de cibler les cellules cancéreuses, jouent probablement un rôle pour combattre les virus. « Nous avons proposé nos services pour accompagner les études relatives à l’épidémie », raconte Eric Vivier. Son équipe participe au projet CoPanFlu, qui implique le suivi de 2000 individus initialement sains. « Nous analysons l’évolution de la qualité du sang à partir d’un temps zéro, c’est à dire avant l’apparition de la maladie, explique le directeur du CIML. Ce qui est rare car, en général, les études démarrent une fois que la maladie est là. » Or, chaque organisme a une histoire, et ne pas la connaître peut mener à des erreurs graves de compréhension. Une épidémie prévisible touchant autant d’individus est donc une « chance » pour ces scientifiques.

Encadré
Un labo qui donne envie d’être chercheur
Si la recherche souffre de désaffection chez les jeunes, Baptiste Jaeger, doctorant, est un beau contre-exemple. Ce lyonnais, fasciné par la complexité du Vivant, a trouvé au CIML de quoi nourrir sa passion dans une atmosphère détendue qui ne cède rien à l’efficacité : « L’ambiance est très bonne et tout est fait pour que nous perdions le moins de temps possible avec les expériences. Il y a du personnel pour s’occuper de nos souris, le gain de temps est énorme », raconte Baptiste Jaeger. La productivité des chercheurs est également renforcée par le savoir des membres permanents. Ainsi, le jeune doctorant s’est formé aux techniques d’imagerie auprès de Sophie Guia, « le pilier de l’équipe », qui a fait ses débuts au CIML il y a 12 ans. Autre point fort du laboratoire selon Baptiste Jaeger : « Le rayonnement international est formidable. Fin octobre, nous avons été plusieurs à partir à l’Université américaine d’Harvard pour une retraite scientifique. C’était très enrichissant. »

Cet article a été posté le Thursday, 21 January 2010 à 18:50 et est classé dans science, santé. Vous pouvez suivre les réponses à cet article via le flux RSS 2.0. Vous pouvez aller à la fin et laisser un commentaire. Les rétroliens ne sont pas permis pour le moment.

 

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