Les scenarii des géologues sur l’apparition du pic gazier divergent
Hebdomadaire PETROSTRATEGIES du 13 novembre 2006
Si la problématique du pic pétrolier fait couler beaucoup d’encre, celle du pic gazier, encore plus complexe, ne devrait pas tarder à rivaliser. Selon le géologue Pierre-René Bauquis, anciennement Total et membre de l’Association pour l’étude des pics de production de pétrole et de gaz naturel (ASPO), un pic gazier devrait apparaître vers 2015-2020, avec une production plafonnant autour de 4000 Gm3/an. Cette vision s’oppose à celle d’Yves Mathieu, de l’Institut Français du Pétrole, qui prévoit un profil plateau, situé entre 4170 Gm3/an et 5100 Gm3/an, le décrochage pouvant intervenir vers 2050, voire plus tard. Ces experts, réunis par l’Association Française du Gaz le 8 novembre à Paris, ont cependant tous les deux souligné la difficulté d’établir un pronostic. Première inconnue : les réserves ultimes. Si l’exploration pétrolière est mature, l’exporation « volontariste » du gaz est récente. Les ressources actuelles s’élèveraient à 180 000 Gm3, et on estime les ressources potentielles à 340 000 Gm3. De plus, contrairement au pétrole et malgré l’essor du GNL, le gaz n’a pas encore développé un marché réellement international. Deuxième inconnue : la croissance de la consommation de gaz. Doit-on considérer 2 %/an, 3 %/an de croissance ou autre chose ? Troisième inconnue : le modèle de déplétion à appliquer.
Premier scenario : 2015-2020, voire 2030
Selon Pierre-René Bauquis, l’approche de Hubbert sur le pic de pétrole serait utilisable au plan mondial. Le paramètre qui diffencierait les scenarii du gaz et du pétrole serait le rythme de production : actuellement de l’ordre de 4 Gtep pour le pétrole, mais seulement 3 Gtep pour le gaz. Par ailleurs, ce géologue souligne que le croisement des courbes annuelles des volumes découverts et des volumes produits est intervenu 20 ans plus tard pour le gaz que pour le pétrole (1980 pour le pétrole, 2000 pour le gaz). Il évalue donc grossièrement la date du pic gazier une dizaine d’années plus tard que pour le pétrole. Mais le taux de la croissance de production serait plus important pour le gaz que pour le pétrole dans les 20 prochaines années, décalant le pic gazier vers 2030, avec une incertitude de plus ou moins 10 ans, et à un niveau de production de 4000 Gm3/an, à plus ou moins 10 %. Bauquis rajoute : « Au-delà de ce débat, d’autres questions, encore plus importantes, se posent. Ainsi peut-on se demander à quelle date interviendra le pic de production pour les pricipaux fournisseurs de l’Europe, Russie en tête. La production de la zone d’Ourengoy est en déclin. Or, les deux zones qui pourraient prendre le relais, la péninsule de Yamal et le gisement de Shtokman, voient leur mise en valeur sans cesse retardée. Le pic gazier russe pourrait donc intervenir plus tôt que prévu, ou prendre la forme d’un pic à deux bosses, comme ce fut le cas pour le pétrole en Grande-Bretagne.»
Second scenario : 2050, 2060
Les projections d’Yves Mathieu sont plus optimistes. Ce scientifique ne prévoit pas un pic gazier en tant que tel, mais une production en plateau, consécutive à des capacités de consommation limitées à un certain nombre de pays. Tous les pays ne se mettraient pas à consommer du gaz, une telle évolution impliquant des investissements trop lourds en infrastructures pour être envisageables. La date de fin du plateau permettrait de situer le décrochage entre la production et la consommation. A 5100 Gm3/an et face à une croissance de la consommation de 3 % /an, ce décrochage pourrait intervenir vers 2050. A 4170 Gm3/an, soit le double de la consommation actuelle, et une croissance de 2 %/an, l’échéance serait repoussée jusqu’en 2065.
L’avenir des hydrates de méthane
Selon Mathieu, les dates annoncées pourraient être encore plus lointaines et même dépasser notre siècle, si les technologies d’extraction du gaz libre piégé dans les hydrates de méthane devenaient matures : « Le test effectué sur le site de Mallik au Canada a permis d’obtenir une production de gaz. Cependant, il n’a pas permis de montrer la faisabilité technique à long terme ni les points de vue économique et environnemental. » Les chiffres sur les volumes en place seraient considérables, mais il y aurait 100 fois plus de carbone dans les hydrates que dans tous les hydrocarbures et le charbon confondus. Il faut donc, auparavant, trouver une solution au captage et au stockage du carbone. Mais quelle serait la part des hydrates disponible en tant que réserves exploitables ? Si Yves Mathieu considère que les hydrates de méthane constituent un énorme potentiel, Pierre-René Bauquis reste quant à lui dubitatif, le défi technologique étant selon lui trop important pour pouvoir compter un jour sur cette nouvelle manne énergétique.