Les agrocarburants provoquent des transactions foncières gigantesques dans les PVD

Hebdomadaire PETROSTRATEGIES du 9 mars 2009

Le besoin de terres arables pour développer les agrocarburants ou pour assurer la sécurité alimentaire conduit à de nouvelles formes d’investissements préoccupantes. Des Etats (via des Fonds souverains ou des sociétés nationales) ainsi que des compagnies occidentales mettent la main sur des terrains agricoles disponibles dans les pays en voie de développement (PVD). Ce phénomène, qui s’est accéléré très discrètement autour de 2006, prend une ampleur difficilement mesurable qui inquiète la FAO (l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture). En effet, les transactions, souvent opaques et portant sur des périmètres gigantesques, ne bénéficieraient pas à toutes les parties et en particulier pas aux habitants de ces terres qui sont parfois expropriés sans aucune compensation. Outre la sécurité alimentaire et les agrocarburants, une nouvelle source d’intérêt émerge pour les investisseurs, liée au développement du marché du CO2 et à la volonté internationale de limiter la déforestation massive. Ceux qui achètent des forêts et s’engagent à ne pas couper d’arbres pourront bénéficier de crédits carbone.

Des investisseurs originaires d’Europe, de pays du Golfe, de Chine et d’Inde prennent le contrôle de millions d’hectares via des concessions de 49 ou 99 ans. La FAO rédige actuellement, avec tous les acteurs concernés, des directives de bonne conduite, un outil pour aider les Etats à aller vers une « gestion foncière responsable » dans un contexte mondial changeant du point de vue économique et environnemental. Selon elle, sur 13,5 milliards d’hectares de terres arables dans le monde, la surface potentiellement disponible s’élève à 2 milliards d’hectares, principalement en Afrique sub-saharienne et en Amérique du Sud (80 %). La FAO estime qu’un quart de cette surface ne devrait pas être cultivé pour des raisons environnementales. « Contrairement à ce qui se dit souvent, il n’y a pas, ou très peu de bonnes terres libres et inoccupées en Afrique », souligne Paul Mathieu, expert en gestion foncière à la FAO.

Selon cette organisation, le manque de transparence sur les transactions ne permet pas encore de se faire une idée précise de l’étendue du phénomène. Le Fonds international pour le développement agricole (Fida) détiendrait aujourd’hui les informations les plus exhaustives. Dans un rapport publié en février 2009, le Fida indique que les lots de surfaces agricoles convoitées pour les agrocarburants varient de 500 à 100 000 hectares, voire plus. Au Mozambique, la surface totale des terres visées par les investisseurs dépasserait le double des terres cultivées aujourd’hui dans le pays ! Dans un autre pays d’Afrique, en Tanzanie, les transactions se multiplient. Par exemple, le Britannique Cams a investi entre $450 et $600 millions pour 45 000 hectares. Le Soudan attire également les investisseurs. L’Américain Jarch a acquis des droits sur 400 000 hectares de terres fertiles dans le sud de ce pays. A Madagascar, Daewoo négocie actuellement un bail de 1,3 million d’hectares pour faire pousser 5 Mt de maïs d’ici 2023. Le Sud-coréen souhaite également mettre la main sur 120 000 hectares supplémentaires pour cultiver de l’huile de palme destinée à la fabrication de biodiesel. L’annonce de cet accord a été très mal accueillie par la population, dans un pays où la situation politique est actuellement tendue. Les pourparlers avec Daewoo seraient aujourd’hui gelés.

Dans un contexte de crise économique susceptible de renforcer les comportements protectionnistes, certains investisseurs préfèrent se tourner vers les pays politiquement stables et misent sur la proximité culturelle et géographique. Par exemple, l’Arabie Séoudite investit en Ethiopie, au Pakistan et en Indonésie. 240 compagnies séoudiennes auraient obtenu des licences en Ethiopie et compteraient y investir $2,5 milliards. En Indonésie, l’Arabie Séoudite a investi dans un périmètre de 1,6 million d’hectares, dont une grande partie sera destinée aux agrocarburants.

La liste des investissements dans le monde est encore longue. Aux Philippines, la compagnie espagnole Bionor Transformacion va investir $200 millions sur plus de 100 000 hectares de terres pour cultiver du jatropha destiné à fabriquer du biodiesel (PETROSTRATEGIES du 9 juillet 2007). Dans ce même pays, Sarangani Biocarburants, un consortium emmené par des Japonais, prévoit de cultiver 50 000 hectares de jatropha. En outre, le Qatar et le Koweït investissent au Cambodge, l’Inde au Brésil, au Paraguay et en Uruguay.

Il est aujourd’hui impossible de quantifier précisément la somme des terres ayant fait l’objet de telles transactions. Selon Paul Mathieu, il est trop tôt pour dire si ces cessions de terres agricoles représentent « une forme moderne de colonialisme ». Tout ne serait pas condamnable et il serait aujourd’hui essentiel d’aider les gouvernements afin que les revenus de ces cessions financent des politiques de développement rural. Les Nations Unies préparent actuellement des directives de « bonne gouvernance » autour de trois critères : 1) la double négociation, à la fois au niveau national, entre les parties signataires, et au niveau local, avec les populations qui occupent les terres ; 2) une compensation réelle et juste s’il doit y avoir déplacement des populations ; et 3) un bénéfice pour le développement rural. Paul Mathieu insiste sur la transparence nécessaire des transactions et l’importance de renforcer l’administration foncière des PVD sollicités. « Il y a beaucoup de pays où les habitants n’ont pas de titres légaux de propriété », explique Paul Mathieu. Le Fida relate également des cas, comme en Colombie, ou des populations ont été déplacées par la force.

Quel sera l’effet de la crise économique et financière sur cette vague de transactions foncières ? Selon Paul Mathieu, l’achat de terres va continuer, surtout pour la sécurité alimentaire. Mais les investissements pour les cultures dédiées à la production d’agrocarburants seront vraisemblablement freinés à cause de la chute des prix du pétrole. Beaucoup de projets ne sont en effet plus rentables. Par exemple, la société suédoise Sekab, qui a investi en Tanzanie, serait aujourd’hui proche de la faillite. Pour Olivier Dubois, coordinateur des travaux sur la bioénergie au département de l’Environnement et des Ressources naturelles de la FAO, « l’éthanol issu de la canne à sucre brésilienne était le seul agrocarburant à être rentable à un prix à $80 le baril ; alors à $40 … ».

Cet article a été posté le Friday, 13 March 2009 à 12:53 et est classé dans énergie. Vous pouvez suivre les réponses à cet article via le flux RSS 2.0. Vous pouvez aller à la fin et laisser un commentaire. Les rétroliens ne sont pas permis pour le moment.

 

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