Forcer les cellules cancéreuses à vieillir

Magazine Vivre (Ligue nationale contre le cancer), 3ème trimestre 2007

Tels des horlogers de la division cellulaire, les membres de l’équipe du Pr Gilson à Lyon cherchent des méthodes pour provoquer le vieillissement des cellules cancéreuses. S’ils y parviennent, des nouveaux médicaments limitant la prolifération des tumeurs pourraient voir le jour.

Le Pr. Éric Gilson court à travers Lyon. Pas étonnant. Ce chercheur a pour credo de relier intimement la recherche scientifique amont, celle qui se fait sur la molécule, et les applications au lit du malade, à l’hôpital. Ce scientifique enthousiaste nous explique la philosophie de son laboratoire : « Notre volonté est d’avoir un continuum entre la science en éprouvette et l’application en hôpital. C’est assez rare de trouver ce genre d’approche, mais elle est pourtant essentielle. » Ainsi, son équipe, formée de plus de 20 scientifiques, rassemble des chercheurs « fondamentalistes », mais aussi des biocliniciens. Ils se répartissent dans deux laboratoires de l’Ecole Nationale Supérieure de Lyon et dans des locaux de la Faculté de Médecine Lyon-Sud. Au cœur du travail de ces scientifiques : les télomères, des bouts d’ADN à l’extrémité des chromosomes qui agissent comme une horloge du vieillissement des cellules. Lorsqu’un cancer se développe, cette horloge se dérègle et les cellules cancéreuses deviennent immortelles. Un des objectifs de l’équipe d’Éric Gilson consiste à trouver des médicaments qui feront régresser la tumeur en la forçant à vieillir. Mais comment régler l’horloge ?

Chaque fois qu’une cellule se divise, les chromosomes perdent leurs extrémités, les fameux télomères en question. Les chromosomes deviennent ainsi de plus en plus petits et l’information génétique diminue. Au bout d’un moment, les chromosomes sont trop courts pour que la division se poursuive et la cellule « vieillit ». Lorsqu’un cancer se développe, ce processus se détraque. Les cellules cancéreuses se divisent et rien ne les arrête. Pourquoi ? Ici, les télomères sont protégés par des protéines. Les chromosomes gardent ainsi leur taille permettant aux cellules de se dupliquer à l’infini et d’envahir l’organisme ! La première protéine fautive a été démasquée en 1985. Il s’agit de la télomérase, présente dans plus de 90 % des cancers. En 1997, les chercheurs lyonnais entrent en scène. Avec une équipe américaine, ils codécouvrent une nouvelle protéine, baptisée TRF2, impliquée dans ce processus. Elle est détectée tout d’abord chez des patients atteints de cancer du poumon, puis pour des tumeurs de la peau, de la prostate et du colon. Depuis, l’équipe du Pr. Gilson étudie à a la loupe TRF2 et espère trouver des moyens pour l’inactiver, donc pour l’empêcher de nuire.

« Pour la recherche fondamentale, nous travaillons avec de la levure de boulanger dont le processus de division cellulaire est rapide et ressemble à celui des cellules humaines, explique Éric Gilson. Pas besoin d’utiliser des cellules animales, ce qui nous préserve de tout problème éthique. » Côté recherche clinique, le laboratoire étudie des cellules de patients atteints de cancers de la prostate ou de leucémies. Un des champs d’étude de l’équipe lyonnaise consiste à trouver un médicament capable d’inhiber TRF2. Sur ce dernier point, les chercheurs ont une piste : infecter les cellules tumorales avec un rétro-virus délivrant un gène empêchant la synthèse de TRF2. « On en est au stade du bricolage génétique, prévient Éric Gilson. Il faudra encore du temps avant de parvenir à un traitement. »

Encadré
Une équipe féminine
A la réunion de service à laquelle nous avons assisté, sur 13 chercheurs, on dénombrait 3 hommes. La biologie semble être l’apanage de la gent féminine ! Le Pr. Gilson a structuré son équipe en créant des binômes de façon à ce que les nouveaux soient « coachés » par les anciens. Ainsi, Marie-Jo Giraud-Panis suit Anaïs Poulet, jeune thésarde qui travaille sur les protéines au niveau moléculaire, et Thérésa Teixeira explore le vieillissement cellulaire avec Pauline Abdallah, étudiante en thèse elle aussi.

Encadré
La physique au service de la biologie
« La collaboration inter-disciplinaire est un atout et même une nécessité », explique Marie-Jo Giraud-Panis, responsable d’un des trois groupes de l’équipe du Pr. Gilson. Ici, la protéine TRF2 sur laquelle cette équipe a jeté son dévolu est regardée à la loupe grâce à des instruments d’une précision extraordinaire, qui font appel à la physique. « Un AFM (microscope à force atomique) et une technique dynamique par laser nous permettent de voir TRF2 et de suivre son parcours à la trace » précise la scientifique. Elle ajoute : « Nous avons ainsi découvert un enroulement insoupçonné de l’ADN autour de cette protéine qui a des implications dans le fonctionnement de télomères.» La connaissance de TRF2 et d’autres protéines actives lors du développement de tumeurs permettront un jour de définir de nouveaux marqueurs afin de dépister un cancer, le diagnostiquer, et mettre au point une nouvelle approche thérapeutique.

Encadré
Un nouveau marqueur pour le cancer de la prostate ?
Catherine Koering fait partie des chercheurs de l’équipe qui travaillent en interaction directe avec les cliniciens du centre hospitalier de Lyon-Sud. Son projet consiste à valider la télomérase, une enzyme présente lors du développement de tumeurs (voir texte), comme marqueur du cancer de la prostate. Pour cela, la scientifique vient d’entamer une étude portant sur l’analyse d’échantillons sanguins de 300 patients. On sait que la télomérase est active dans les tissus cancéreux, reste à savoir si cette enzyme est aussi détectable dans le sang. Si c’est le cas, elle pourrait, en association avec le marqueur actuel du cancer de la prostate, le PSA (antigène prostatique spécifique), améliorer la détection précoce du cancer de la prostate.

Encadré
Le débat à bâtons rompus permet d’avancer
Comme l’équipe est disséminée dans trois laboratoires différents, les chercheurs se rencontrent chaque jeudi matin pour 3 à 4 heures de présentation et de débat. Seule Jing Yé, originaire de Shanghai, ne parle pas le français. Qu’à cela ne tienne, l’ensemble de l’équipe se met au diapason pour intégrer la jeune médecin chinoise et utilise la langue scientifique internationale : l’anglais.
Lors de cette réunion, chaque chercheur expose les travaux de la semaine. S’en suit une discussion collégiale où tout le monde se sent concerné et s’interroge. Les scientifiques expriment leur enthousiasme, mais aussi leurs doutes. Éric Gilson, en maître de cérémonie, demande des précisions, pousse ses collaborateurs à approfondir leur raisonnement au maximum. De nouvelles idées naissent du débat. En science, les résultats expérimentaux ne pas sont souvent prévisibles, il faut savoir s’adapter et changer de stratégie. L’équipe semble familière de l’exercice. « Je suis sûr que nous aurons des informations avec cette nouvelle approche, mais lesquels ? Ca n’a jamais été fait, ça vaut le coup d’essayer ! » lance Éric Gilson.

Cet article a été posté le Friday, 19 October 2007 à 9:55 et est classé dans science, santé. Vous pouvez suivre les réponses à cet article via le flux RSS 2.0. Vous pouvez aller à la fin et laisser un commentaire. Les rétroliens ne sont pas permis pour le moment.

 

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