Déceler et traiter le cancer du pancréas

Magazine Vivre, 3ème trimestre 2009

Une équipe lilloise de chercheurs et de cliniciens étudie certaines protéines de notre système gastro-intestinal pour mieux déceler et soigner les cancers digestifs. Leurs travaux sur les tumeurs pancréatiques sont uniques en Europe.

Les tumeurs canalaires (90% des cancers du pancréas) ont un mauvais pronostic. 3000 nouveaux cas par an sont recensés en France et la survie à cinq ans ne dépasse pas 2 à 3 %. Pourquoi ? « Le problème majeur est que les symptômes associés (jaunisse indolore, perte de poids, anorexie, douleur) sont souvent vagues et inexistants jusqu’à ce que la tumeur atteigne une taille importante, explique le Dr. Isabelle Van Seuningen, directrice scientifique de l’équipe « Mucines, différenciation et cancérogénèse épithéliales » du centre Jean-Pierre Aubert à Lille. Ainsi, lorsque le diagnostic est posé, les métastases sont déjà apparues dans 80-90 % des cas ». Autre difficulté à laquelle se heurte la communauté médicale : la forte résistance à la chimiothérapie. L’expertise des chercheurs lillois pourra peut-être permettre, dans quelques années, de détecter la maladie plus tôt et de mettre au point de nouvelles drogues pour améliorer l’efficacité thérapeutique.

Multiplier par 100 la sensibilité à la chimiothérapie
Forte de 30 ans d’expérience dans l’étude des mucines, ces protéines qui tapissent les muqueuses de notre organisme, l’équipe du centre Aubert détient déjà beaucoup d’atouts pour y parvenir. Tout commence en 1991 lorsque le Pr. Nicole Porchet, qui dirige aujourd’hui l’équipe avec Isabelle Van Seuningen, découvre une mucine digne d’intérêt. Celle-ci, appelée MUC4, est absente dans un pancréas sain mais activée dans les cellules pancréatiques cancéreuses, et ce dès les stades précoces. En 2007, l’Inserm, conscient de la portée potentielle de ces résultats, demande à l’équipe lilloise de se consacrer totalement à la cancérologie. La ligue, également enthousiaste, offre sa 1ère labellisation en 2008.
Aujourd’hui, les chercheurs lancent des études in vitro et in vivo sur des modèles murins (de souris). Ils inhibent l’expression de MUC4 à la demande et comparent les résultats. Que se passe-t-il lorsque MUC4 est exprimée, et lorsqu’elle ne l’est pas ? Les résultats en éprouvette sont probants. Les tests ont montré que, lorsque MUC4 est absente, la sensibilité à la chimiothérapie est multipliée par 100 ! MUC4 serait donc une cible de choix. « Mais il faut continuer les tests, en particulier sur les modèles murins pour valider ce que nous avons trouvé in vitro », précise Isabelle Van Seuningen. Les 1ères souris seront prêtes en 2010. En parallèle, des études sur des tissus humains démarrent, grâce à la collaboration avec les Pr. Mohamed Hebbar, François-René Pruvot et Emmanuelle Leteurtre du CHRU de Lille.

Vers un marqueur prédictif et peut-être un nouveau traitement
L’application au lit du malade serait double. Tout d’abord, MUC4 pourrait être utilisée comme biomarqueur pour déceler les phases précoces du cancer dans les populations à risque, celles par exemple ayant un historique familial ou un diabète qui s’est déclaré tôt. « Ce test pourrait s’effectuer par exemple par écho-endoscopie , explique le Dr Nicolas Jonckheere, post-doctorant. Des recherches seront encore nécessaires pour effectuer ce test par une simple prise de sang ». Ensuite, il sera peut-être possible de cibler les cellules qui expriment MUC4 par immunothérapie. « Des études de phase 3 pour cibler MUC1 sont actuellement en cours pour le cancer du sein, ajoute le scientifique. Cela devrait être a priori faisable pour MUC4 dans le cancer du pancréas ». Dans combien de temps ? « La réponse est périlleuse…, avoue Nicolas Jonckheere. Mais je pense qu’un traitement pourrait être disponible d’ici 10 à 15 ans ».

Encadré 1
Controverse sur le cancer de l’œsophage
L’équipe du centre Aubert travaille également sur le cancer de l’œsophage, qui se développe suite à un reflux acido-biliaire chronique induit par l’obésité ou le stress. Sous la direction du Pr. Christophe Mariette, six chercheurs et cliniciens tentent de découvrir la signature génétique de ce cancer, et quelles mucines sont exprimées aux différents stades de la maladie. Leur travail permettra peut-être de conclure le débat sur l’utilisation des IPP (Inhibiteurs de la pompe à protons), des molécules administrées aux patients pour limiter le reflux acide. Car les médecins sont aujourd’hui sceptiques quant aux bénéfices des IPP pour le cancer. Ces molécules pourraient accélérer le développement de la maladie dans certains cas. Qu’en est-il vraiment ? « C’est ce que l’on veut analyser, explique Isabelle Van Seuningen, qui pilote le laboratoire. Nous étudierons la progression du cancer entre deux populations de rats soumis à un reflux chronique par chirurgie : une population témoin et une autre traitée sous IPP. »

Encadré 2
Un chercheur qui s’accroche
Nicolas Jonckheere est entré au centre Jean-Pierre Aubert en 2000 pour y faire sa thèse. En 2004, ce jeune chercheur, passionné depuis toujours par la recherche médicale, décide de s’exiler en Californie pour un post-doc. « Aux Etats-Unis, les laboratoires sont énormément dotés financièrement, ce qui donne de nouvelles possibilités », explique Nicolas Jonckheere. Pourtant, c’est en France que le scientifique souhaite s’établir. Aujourd’hui, grâce à la ligue, il a redémarré ses recherches au sein de l’équipe lilloise et espère bientôt décrocher un poste de chercheur permanent. Mais la compétition est acharnée et le doute permanent : « C’est frustrant. J’ai un petit garçon, et ma femme et moi souhaiterions sortir de la précarité. Je continuerai à me battre ».

Encadré 3
Bras de fer entre Lille et le Nebraska
« Le laboratoire est plutôt original. Nous regroupons des chercheurs scientifiques, des chirurgiens, des pathologistes, des pharmaciens et des biologistes. Ce savoir-faire pluridisciplinaire est un grand atout », souligne Isabelle Van Seuningen. L’équipe, qui regroupait 24 têtes chercheuses cet été, en comptera 36 à partir d’octobre 2009 (dont 11 étudiants). De quoi donner le change au laboratoire concurrent spécialisé dans l’étude de MUC4 dans le cancer du pancréas, situé au Nebraska ? La directrice de l’équipe lilloise est confiante : « Nous sommes à l’origine de la découverte de cette mucine, nous avons de l’avance sur les Américains. » Seule la faiblesse des financements comparée aux technologies de pointe, toujours plus coûteuses, pourrait être un frein.

Encadré 4
Cancer du côlon : traquer l’invasion tumorale
Le Dr. Guillemette Huet, praticien hospitalier et membre de l’équipe depuis 1980, pose un œil averti sur les faits et gestes des cellules tumorales dans le cancer du pancréas, mais aussi dans celui du côlon : « Grâce à l’imagerie, nous pouvons suivre le cheminement des cellules cancéreuses coliques et repérer celles qui sont le plus agressives, c’est à dire qui ont tendance à envahir l’organisme pour former des métastases », explique la scientifique. Les chercheurs se sont aperçus que les cellules les plus agressives sont celles qui résistent le plus à la chimiothérapie. Ils ont en outre identifié des gènes spécifiques à cette agressivité. Peut-être de nouvelles pistes pour traiter les cancers du côlon et du pancréas ?

Cet article a été posté le Friday, 9 October 2009 à 18:10 et est classé dans science, santé. Vous pouvez suivre les réponses à cet article via le flux RSS 2.0. Vous pouvez aller à la fin et laisser un commentaire. Les rétroliens ne sont pas permis pour le moment.

 

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