Epidémiologie, quand la recherche précise les risques

Magazine Vivre, édité par la ligue nationale contre le cancer (3ème trimestre 2010)

Révéler au grand jour la réalité des risques liés au cancer et donner des arguments pour défendre les droits des malades, telles sont les ambitions de la recherche épidémiologique. La ligue soutient des études indépendantes, qui se veulent affranchies de la pression lobbyiste.

Alimentation, pesticides,… Quelle est l’incidence de l’environnement et de nos habitudes de vie sur notre santé ? La question fait débat et les études scientifiques se contredisent parfois. Qui croire ? Aujourd’hui, les études épidémiologiques menées par des laboratoires publics, qui évaluent les effets a posteriori, sont parmi les plus fiables. Mais elles doivent suivre un nombre important de cas sur de longues durées pour être significatives.

Alimentation et cancer du sein
Le Dr Françoise Clavel-Chapelon, qui dirige l’équipe ‘Nutrition, hormones, et santé des femmes’ à l’IGR, travaille depuis plus de 20 ans sur l’alimentation et les hormones comme facteurs de risque de cancer. L’étude E3N, qui comprend une cohorte de 100 000 femmes âgées de 40-65 ans en 1990, a montré des résultats retentissants sur le lien entre la prise de traitements hormonaux de la ménopause et la survenue du cancer du sein. Depuis, l’étude E3N a livré d’autres conclusions sur les effets de l’alimentation. « Nous avons pu mettre en évidence deux typologies particulières parmi les femmes de la cohorte », explique Françoise Clavel-Chapelon. Une première, appelée ‘alcool/Occidental ’, correspond à la consommation de viande, de frites, riz/pâtes, pizzas, œufs, boissons alcoolisées, gâteaux, mayonnaise, beurre. Une seconde typologie a été trouvée, appelée ‘saine/Méditerranéenne’, en rapport avec la consommation de fruits, légumes, produits de la mer, huile d’olive. « Le groupe ‘alcool/Occidental’ affiche une augmentation de 20 % du risque de cancer du sein postménopausique, tandis que le second groupe présente une réduction de 20 % de ce risque », rapporte l’épidémiologiste. En outre, les chercheurs ont montré que les acides gras ’trans’, c’est à dire issus de produits transformés par l’industrie alimentaire, sont liés à une augmentation du risque de cancer du sein.

Pesticides : danger ?
Le Dr Pierre Lebailly, maitre de conférences à l’Université de Caen, a conduit la première cohorte française sur le risque de cancer en milieu agricole. Une enquête a été effectuée sur 6000 agriculteurs du Calvados. « Un excès de certains cancers a été observé, rapporte Pierre Lebailly. Il s’agit des lymphomes, des cancers de la peau, du rein, de la prostate et du sein. Il est encore trop tôt pour identifier les facteurs associés, sauf concernant le cancer de la prostate, qui semble être associé à l’utilisation d’herbicides. » Afin d’étendre et affiner ces résultats, l’étude a été élargie en 2006 à 182 000 personnes, réparties sur 11 départements. Cette étude, nommée Agrican, est la plus grande jamais réalisée dans le monde en milieu agricole. Elle donnera ses principales conclusions d’ici 4 ou 5 ans. « Nous récolterons des résultats par étapes jusqu’en 2020, sur les effets des pesticides lors de leur utilisation, ce qui concerne surtout les hommes, mais aussi sur le contact avec des cultures traitées, ce qui concerne aussi les femmes, explique le scientifique. » Cette étude fait des émules à l’international. « Elle a été le levier initiateur d’un consortium international rassemblant 14 cohortes dans 6 pays. Les USA, qui conduisent une cohorte de 90.000 agriculteurs depuis 1993, la France, le Canada, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud y participent, précise le Dr Lebailly. Nous essayons d’y intégrer d’autres pays, comme le Brésil ou l’Inde, qui sont de grands pays agricoles. »

Vers une meilleure assurabilité
Autre façon d’étudier la réalité du cancer et d’alimenter le choix des politiques en matière de santé publique : le réseau Francim. Il s’agit du réseau français des registres du cancer qui récolte des données depuis 30 ans sur 20 départements. « Francim permet de connaître l’incidence du cancer dans l’hexagone et d’effectuer des études de survie, précise le Dr Pascale Grosclaude, présidente du réseau. Ces études permettent de fournir des données aux décideurs et aux législateurs pour répondre aux besoins des malades et faire respecter leurs droits. En particulier, il est important de donner des chiffres de survie fiables. En effet, les primes d’assurance de certaines personnes ayant été atteintes d’un cancer et voulant emprunter sont indécentes. Nous avons travaillé avec la ligue et les compagnies d’assurance et leur avons donné des chiffres concernant le devenir des anciens malades entre 1 et 10 ans après leur diagnostic. » A charge aujourd’hui aux politiques de s’approprier ces chiffres et d’en faire bon usage pour faire valoir les droits des malades.

REPERES
La recherche épidémiologique vise à établir des liens objectifs entre la survenue d’un cancer et les facteurs de risque d’origine environnementale, comportementale ou professionnelle. Quel est l’impact de l’alimentation sur le développement d’un cancer du sein ? Les pesticides sont-ils des agents promoteurs de certains cancers ? Voilà le type de questions auxquelles veulent répondre les chercheurs. Il s’agit d’un travail de longue haleine, qui se construit patiemment sur des cohortes intégrant jusqu’à plus de 100 000 personnes. La ligue, consciente des enjeux, a investi plus de 1,9 million d’euros en 2009 pour soutenir cet axe d’investigation.

Cet article a été posté le Monday, 4 October 2010 à 14:57 et est classé dans science, santé. Vous pouvez suivre les réponses à cet article via le flux RSS 2.0. Vous pouvez aller à la fin et laisser un commentaire. Les rétroliens ne sont pas permis pour le moment.

 

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