Armer le système immunitaire

Magazine Vivre, édité par la ligue nationale contre le cancer (1er trimestre 2011)

Mariage réussi entre l’immunologie et la cancérologie à Toulouse. Grâce à la ligue, pierre angulaire de cette alliance, l’équipe du Pr Valitutti a ouvert il y a dix ans un corridor de recherche inédit qui vise à étudier l’interaction entre le système immunitaire et la tumeur.

« Tombé amoureux » très tôt de l’immunologie, le tonitruant Salvatore Valitutti nous fait visiter son laboratoire au pas de course. Pas de temps à perdre, la science n’attend pas. Pourtant, ce médecin-chercheur, venu d’Italie en passant par la Suisse, est ravi de raconter son parcours atypique, en partie inspiré par la ligue. Tout a commencé sur les bancs de la faculté de médecine de Rome. Enthousiasmé par l’essor dans les années 80 de l’immunologie, Salvatore Valitutti décide de se consacrer pleinement à la recherche. Après avoir approfondi ses compétences en biologie et en immunologie humaine à Bâle, ce chercheur décroche un poste de professeur à Toulouse en 1999. Dans son laboratoire, niché au cœur de l’hôpital Purpan, le Pr Valitutti entrevoit alors les liens à tisser entre l’immunologie et l’oncologie. Mais le chercheur hésite encore car la démarche est inédite. La ligue, qui a très vite cerné la portée d’une telle intuition, le pousse à persévérer. Elle labellise son équipe en 2000. « La bascule vers l’oncologie a été progressive, il nous a fallu quelques années, explique Salvatore Valitutti. Aujourd’hui, grâce à la ligue, il s’agit de notre thème principal de recherche. Nous nous présentons comme les ambassadeurs de l’immunologie et également les médiateurs entre l’immunologie et l’oncologie, deux disciplines restées longtemps, malheureusement, étrangères l’une à l’autre. »

Des armées désarmées
L’immunologie se pose donc aujourd’hui comme une nouvelle branche pour lutter contre le cancer. Pourquoi ? Cette discipline vise à comprendre le fonctionnement de notre organisme pour se défendre contre des intrus (virus, bactéries, allergies, maladies auto-immunes, etc.) et à mettre au point des stratégies de prévention par vaccination. Mais la mise au point d’un vaccin contre le cancer n’est pas encore pour demain, beaucoup de recherche fondamentale est encore nécessaire avant d’y parvenir.
Le Pr Valitutti explique par une métaphore militaire le fonctionnement de notre système immunitaire : « Notre organisme est sans cesse parcouru par des sentinelles (les cellules dendritiques) qui partent à la recherche des indésirables, raconte-t-il. Elles les présentent ensuite à leurs généraux (les lymphocytes T auxiliaires) qui décident de les éliminer. Ces généraux envoient alors leurs armées (les lymphocytes T cytotoxiques) pour les anéantir. » Les scientifiques ont observé que les cellules du système immunitaire essaient également de venir à bout des cellules cancéreuses, sans toujours y parvenir. Car si les cellules tumorales sont bien repérées par les sentinelles, elles sont ensuite difficilement détruites par les lymphocytes T. « La tumeur peut être comparée à un artificier qui désamorce les bombes du système immunitaire », décrit l’immunologiste.

Comme au cinéma
Comment observer de tels phénomènes ? « Nous faisons du cinéma », se plait à dire Salvatore Valitutti. Les scientifiques ont en effet développé des microscopes de haut vol pour faire du cinéma cellulaire, c’est à dire regarder en temps réel comment un lymphocyte T s’approche d’une cellule indésirable, s’y colle et largue des petites bombes (appelées molécules lytiques). Les chercheurs voient la cellule mourir ou bien se défendre contre cette agression. Grâce à des marqueurs de couleurs, les scientifiques identifient chacun des protagonistes. L’effet est saisissant ! Les collaborateurs du Pr Valitutti utilisent également un autre outil : la microscopie biphotonique. Ce microscope biphoton permet de plonger au cœur d’un tissu humain, prélevé sur un patient. Il ne s’agit plus d’observer quelques cellules sur une lame mince, mais d’étudier les phénomènes biologiques dans un environnement au plus près de la réalité (voir encadré).

Vers une immuno-thérapie des tumeurs

Depuis le début des années 2000, l’équipe toulousaine étudie de près l’interaction entre les armées du système immunitaire et les cellulaires cancéreuses, comment elles se rencontrent et interfèrent entre elles. Les chercheurs étudient principalement les mélanomes, les lymphomes, et les leucémies. « Nous avons découvert en 2005 que les lymphocytes T cytotoxiques ou CTL (les armées) sont capables de repérer assez vite une cellule tumorale et de s’en approcher, raconte le chercheur italien. En 2009, nous avons montré que ces armées sont beaucoup moins efficaces sur une tumeur que sur une cellule infectée par un virus. Si un CTL a besoin de 10 minutes pour venir à bout d’un virus, il lui faudra au moins 30 minutes pour détruire une cellule cancéreuse. » Ainsi, selon le Pr Valitutti, le combat serait inégal. « Cela revient à comparer un lion qui attaque un zèbre à ce même lion qui attaque un éléphant », explique-t-il. Les cellules cancéreuses seraient donc beaucoup plus robustes.

Peut-on améliorer l’efficacité des CTL contre les cellules cancéreuses ? « C’est la piste que nous privilégions, répond le chercheur. Il faudrait aussi augmenter la durée de vie des CTL. Ces dernières meurent parfois avant d’être venues à bout de leur combat ! » Des idées germent déjà dans le cerveau des chercheurs. Les biologistes espèrent trouver le moyen de doper les CTL d’ici deux à trois ans. « Il s’agit d’une étape incontournable pour développer une nouvelle thérapie, conclut le Pr Valitutti. En effet, il ne servira à rien de multiplier les CTL (principe de la vaccination) s’ils ne sont pas efficaces. »

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Entre l’hôpital et le laboratoire
Camille Laurent jongle entre ses activités de médecin, d’enseignant et de chercheur. Ces fonctions d’anatomopathologistes à l’hôpital Purpan, où elle analyse les tissus des patients pour aider au diagnostic, sont riches d’enseignement pour la recherche. « Mon projet de thèse croise l’immunologie fondamentale et les pathologies lymphomateuses, explique-t-elle. D’un côté, j’ai tout à apprendre concernant l’immunologie, et de l’autre, j’aide le laboratoire à développer des techniques pour étudier directement des tissus humains et non plus seulement des cellules en culture. » Mais concilier toutes ces fonctions n’est pas une sinécure. « Il faut beaucoup de compréhension dans les deux camps (l’hôpital et le laboratoire ndlr), confie Camille Laurent. J’apprends à dire non. Mais de toute façon, je n’ai pas d’autre choix que de privilégier l’hôpital. Les microscopes peuvent attendre, les patients, non ! »
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Pour que le lymphocyte ait le dernier mot
Loïc Dupré est une figure atypique dans le laboratoire. Ce spécialiste du syndrome de Wiskott-Aldrich, une maladie orpheline du système immunitaire, s’est rapproché du Pr Valitutti en 2006 pour profiter de ses compétences en immunologie. Chemin faisant, ce chercheur en est venu à faire des parallèles entre le cancer et ce syndrome. Il a notamment repéré des lymphocytes anormaux dans les deux cas. Le scientifique travaille depuis deux ans sur les difficultés qu’ont ces lymphocytes à venir à bout des cellules leucémiques. « Lors de l’attaque d’un lymphocyte, sa forme doit épouser celle de la cellule à détruire, explique Loïc Dupré. Nous étudions les mécanismes permettant au lymphocyte de se lover contre sa cible tumorale. » Les scientifiques espèrent à terme pouvoir rétablir un bon contact entre les deux cellules pour donner raison, finalement, au lymphocyte.
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Plongée au cœur d’un tissu humain
Le laboratoire toulousain développe depuis un an et demi une approche de microscopie de nouvelle génération : la microscopie biphotonique. Magda Rodrigues, ingénieur, est chargée de relever ce défi. Ce nouvel appareil permet d’observer à l’échelle cellulaire un tissu humain d’un demi millimètre d’épaisseur. « Grâce à des marqueurs de couleur, nous pouvons repérer jusqu’à 5 types de structures différents dans un tissu maintenu en vie pendant 3 heures via un système de perfusions qui amène de l’oxygène et des nutriments aux cellules », explique Magda Rodrigues. La jeune ingénieur utilise une configuration inédite en Europe. Le biphoton vient s’ajouter au microscope confocal, qui permet de visualiser des cellules fixées dans une section mince. « Le biphoton a le gros avantage de pouvoir observer les cellules dans leur micro-environnement naturel, et d’exclure ainsi une partie des biais expérimentaux », conclut-t-elle.

Cet article a été posté le Monday, 18 April 2011 à 19:46 et est classé dans science, santé. Vous pouvez suivre les réponses à cet article via le flux RSS 2.0. Vous pouvez aller à la fin et laisser un commentaire. Les rétroliens ne sont pas permis pour le moment.

 

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